Le Parti Socialiste Français a beaucoup de candidats de valeur mais pas de programme (de valeur ou pas). Son socialisme n’a pas l’air de marcher au point d’en supprimer toute référence.
Un certain Karl Marx l’avait compris et anticipé sur cette question. Il avait écrit en 1848 (il avait trente ans) une brochure en prévision du congrès … du PS de 2008. Le chapitre intitulé Le socialisme conservateur ou bourgeois reproduit ci-après est d’une modernité aveuglante et d’une clairvoyance prophétique. Beaucoup d’universitaires français se reconnaîtront dans le portrait de leur classe.
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Une partie de la bourgeoisie cherche à porter remède aux anomalies sociales, afin de consolider la société bourgeoise.
Dans cette catégorie, se rangent les économistes, les philanthropes, les humanitaires, les gens qui s’occupent d’améliorer le sort de la classe ouvrière, d’organiser la bienfaisance, de protéger les animaux, de fonder des sociétés de tempérance, bref, les réformateurs en chambre de tout acabit. Et l’on est allé jusqu’à élaborer ce socialisme bourgeois en systèmes complets.
Citons, comme exemple, la Philosophie de la misère de Proudhon.
Les socialistes bourgeois veulent les conditions de vie de la société moderne sans les luttes et les dangers qui en découlent fatalement. Ils veulent la société actuelle, mais expurgée des éléments qui la révolutionnent et la dissolvent. Ils veulent la bourgeoisie sans le prolétariat. La bourgeoisie; comme de juste, se représente le monde où elle domine comme le meilleur des mondes. Le socialisme bourgeois systématise plus ou moins à fond cette représentation consolante. Lorsqu’il somme le prolétariat de réaliser ses systèmes et d’entrer dans la nouvelle Jérusalem, il ne fait que l’inviter, au fond, à s’en tenir à la société actuelle, mais à se débarrasser de la conception haineuse qu’il s’en fait.
Une autre forme de socialisme, moins systématique, mais plus pratique, essaya de dégoûter les ouvriers de tout mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce n’était pas telle ou telle transformation politique, mais seulement une transformation des conditions de la vie matérielle, des rapports économiques, qui pouvait leur profiter. Notez que, par transformation des conditions de la vie matérielle, ce socialisme n’entend aucunement l’abolition du régime de production bourgeois, laquelle n’est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat et ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et alléger le budget de l’Etat.
Le socialisme bourgeois n’atteint son expression adéquate que lorsqu’il devient une simple figure de rhétorique.
Le libre-échange, dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des droits protecteurs, dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des prisons cellulaires, dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Voilà le dernier mot du socialisme bourgeois, le seul qu’il ait dit sérieusement.
Car le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette affirmation que les bourgeois sont des bourgeois … dans l’intérêt de la classe ouvrière.
Karl Marx, Friedrich Engels, février 1848
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La brochure de Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) intitulée Le manifeste du parti communiste est un ouvrage inconnu même chez les communistes (du PCF).
Le philosophe Alain Badiou a suscité une curiosité inattendue chez de nombreux lecteurs avec sa « brochure » De quoi Sarkozy est-il le nom ? en mettant à l’ordre du jour « l’hypothèse communiste ».
Effectivement, les premières lignes du manifeste de Marx-Engels annoncent l’histoire future :
Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d’Allemagne.
Quelle est l’opposition qui n’a pas été accusée de communisme par ses adversaires au pouvoir ? Quelle est l’opposition qui, à son tour, n’a pas renvoyé à ses adversaires de droite ou de gauche l’épithète infamante de communiste ?
En Grèce antique, « démocrate » était une insulte contre les « sans parts », issus du petit peuple « inculte » et adversaires de la classe dominante (sang, noblesse, culture) ; ils réclamaient non seulement leur part à l’exercice du Pouvoir mais posaient des questions universelles sur le devenir de toute la société. Effectivement, les deux auteurs du programme communiste ont compris très tôt que « communiste » allait devenir une insulte comme à l’époque de la démocratie naissante.
Citons enfin le philosophe Slavoj Zizek qui répond aux libéraux sur l’équation « communisme = totalitarisme ».
« La notion de totalitarisme a toujours été une notion idéologique au service de l’opération complexe visant à neutraliser les « radicaux libres », à garantir l’hégémonie libérale-démocrate, et à dénoncer comme pendant ou double de la dictature fasciste de droite la critique de gauche de la démocratie libérale. Loin d’être un concept valable, la notion de totalitarisme est une sorte de subterfuge théorique ; au lieu de nous donner les moyens de réfléchir, de nous contraindre à appréhender sous un jour nouveau la réalité historique qu’elle désigne, elle nous dispense de penser, et même nous empêche activement de le faire. »