À mon tour de poser une équation :
colonisation = chosification ;
J’entends la tempête. On me parle de progrès, de vies élevées au-dessus d’eux mêmes.
Moi je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, d’institutions minées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.
On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilomètres de routes, de canaux, de chemin de fer ?
Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan.
Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan.
Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse.
Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme.
Aimé Césaire
Discours sur le colonialisme, 1950